Abyme | Prologue
PDF Print E-mail

 

Après Ailleurs, En dedans et Ressac, voici Abyme. La composition en abyme, utilisée par Diego Velasquez dans « les Ménines » et par Jan Van Eyck dans « Les époux Arnolfini », c’est par le jeu des miroirs, le reflet qui se reflète dans le reflet et ainsi de suite. Dans le domaine de la narration, c’est Andre Gide décrivant, dans « Les faux monnayeurs », l’oncle Edouard en train d’essayer d’écrire « Les faux monnayeurs », comme plus tard Roger Vaillant dans « La fête » montrera Duc, son double, en train d’écrire son roman. Au cinéma, c’est dans « La nuit américaine » de Truffaut, le film du film en train d’être filmé par Truffaut. 

Ici, dans ce travail autobiographique littéraire, le présent évoque un souvenir ; un souvenir en fait surgir un autre, enseveli, chez l’auteur, peut-être aussi chez le lecteur ; l’auteur lit un autre auteur, le lecteur assiste à cette rencontre. Elle va peut-être éveiller en lui le désir de connaître, à son tour, cet écrivain. Et ainsi de suite. Amiel a bien décrit ce processus : « Je suis une réflexion qui se réfléchit comme deux glaces en face l’une de l’autre » (Journal intime, 19 avril 1876). Ce jeu de miroirs, secret de la transmutation du passé et du présent, affine la conscience, enrichit l’expérience humaine,  libère du Temps, comme Marcel Proust l’a montré à la fin de la Recherche. 

Fréderic Nietzsche s’est amusé à nous faire peur : « Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi ». Mais, le grand guignol me fait plutôt rire. Je préfère m’en tenir à Maître Eckart : « L’œil dans lequel je vois Dieu est l’œil même dans lequel Dieu me voit. » Quitte à avoir le vertige, autant avoir un vertige divin.